Dans affaire XIII, le premier geste que Thierry Joseph nous invite à accomplir a valeur de décharge pour l’artiste et engage, à son insu, la seule responsabilité du spectateur : en appuyant sur le bouton « Start «, il déclenche lui-même le mécanisme, dont il pourra peut-être par la suite se dire la victime. Le commutateur enfoncé, le processus s’enclenche. Dès lors, la salle jusqu’alors blanche et lisse s’obscurcit, les paroles de la Grande musique des Little Rabbits, vaguement inquiétantes, annoncent la couleur : « on va faire une petite balade «. En fait de douce flânerie, c’est un univers frénétique où le spectateur est promené - au sens familier du terme, malmené, mené en bateau, trimbalé ou encore envoyé promener, balader, valser, comme on voudra – à la manière d’une boule de flipper. C’est d’abord un vide-ordure à tiroir qui s’ouvre brutalement et découvre une vidéo dont le rythme soutenu des séquences laisse entrevoir des images se succédant sans ordre. Ainsi, des personnages aux costumes démodés photographiés en pleine réunion, ou encore les pages d’un manuel technique (en fait, le mode d’emploi d’un photocopieur des années 60-70) se mêlent à d’autres clichés, issus sans nul doute de magazines ou de sites pornographiques. L’origine aussitôt identifiable de ces ostentatoires ébats contraste et répond tout à la fois au caractère figé et désuet d’images illustrant un quotidien procédurier. Fin de la séance, le rabat de métal se referme. Modes d’emploi caduques désormais inutiles et imagerie impudique ayant fait son temps comme support de fantasmes, retrouvent leur place toute désignée au fond de la poubelle, parmi d’autres résidus lamentables et ordinaires de la consommation. Lumière, à nouveau. Mais sporadique, vacillante et agressive. Stroboscopique. Peu à peu, des mots se dessinent sur les globes lumineux, des phrases plutôt dont l’intermittence de l’éclairage ne laisse voir que des bribes. …au bout de combien de paroles… au bout de mon nœud consentirait-elle… merde… Quatre plafonniers espacés s’allument en alternance, qui obligent le visiteur, non seulement à se tordre le cou, mais à courir de l’un à l’autre s’il veut percer l’énigme ou du moins accéder à l’intégralité des citations empruntées au Septentrion de Louis Calaferte. Noir. Dans un autre coin de la pièce, un second vide-ordure se prépare à délivrer son histoire. Un écran qui semble timide en raison de sa petite taille nous pousse littéralement à mettre le nez dans la poubelle. Pour ridicule qu’elle soit, la position que nous adoptons là n’est que le pendant gestuel des instincts grégaires à l’œuvre en chaque individu. Pourtant, ce que nous découvrons alors et qui clos le parcours n’est pas l’odeur nauséabonde de la charogne mise au rebut, mais l’image presque délicate de l’artiste dansant sur l’écran d’une game boy, s’agitant avec bonne humeur au fond du vide-ordure. Peut-être un peu rassuré, on s’en ira malgré tout avec la sensation de s’être fait balader et, éventuellement, d’avoir apprécié le traitement!

Valérie Nam juin 2002

 

affaire XIII