À première vue : un drôle d’insecte
accroché à un panneau de verre, une bestiole ostensiblement
en quête d’amour. En fait : un robot à mi-chemin entre
les automates fabuleux du Zapparoni1 d’Ernst Jünger et les jouets
à l’intelligence factice tels les Tamagoshi et autres Furbys2
. Rivée à la paroi d’une vitrine qu’elle parcourt
au rythme des passages, l’installation encre progressivement la surface
d’injonctions adressées à une possible âme sœur
: reste avec moi, attends-moi, suis-moi, s’égrènent comme
autant de phrases stéréotypées issues du registre amoureux.
La position des mots, déterminée par l’axe d’apparition
et le cheminement des passants, résulte des déplacements mécaniques
du tampon encreur en réponse à la cadence des va-et-vient. Ersatz
d’animal, le robot ne conserve de ses comportements que celui dicté
par les nécessités physiques de la période des amours.
La pièce se livre à une danse absurde, animée d’un
mouvement sensé donner l’illusion d’une attirance amoureuse
et se faisant ainsi métaphore acerbe des procédés de
séduction. Le mode apparemment aléatoire de l’impression
n’occulte en réalité que mollement le systématisme
effectif du processus. Devenu l’objet involontaire de la convoitise
aveugle du robot, le spectateur n’a d’autre choix que celui de
considérer son propre anonymat. A l’inverse de ses précédentes
pièces, Thierry Joseph joue ici sur la présence aléatoire
du spectateur et le confine au rôle douloureux d’objet de désir
interchangeable. Criblée de ces suppliques, la vitrine rend compte
de passages furtifs sans jamais témoigner de la spécificité
d’une présence. L’inanité de l’intention formulée
au départ découle de la multiplication de prières. La
marionnette mécanique devient, de ce fait, le support de projection
d’affects semblable à ceux dont nous usons déjà
: les phrases-clichés imprimées sur le verre ne sont-elles pas
de pâles reflets des scénarios récités en boucle
par les hôtesses des télémessageries roses ? De la même
manière, l’attention que le spectateur pourra accorder à
ces sollicitations ne ressort t-elle pas du même processus d’aliénation
et d’addiction qui s’ensuit du maniement des jouets dits interactifs
(Tamagoshi et Furbys, cités plus haut). Support de la monstration,
la vitrine, quant à elle, se fait la représentation littérale
de l’impossibilité de dialogue, de la mercatique de l’amour,
de l’isolement généralisé par la peur de l’autre.
Cette sorte de « Motif dans le tapis «3 produit par le foisonnement
des phrases, ne révèle finalement que la monotonie d’une
quête mécanique et ininterrompue, à l’image, peut-être,
de nos insatisfactions, de nos désirs inassouvis mais aussi de nos
inattentions et de nos indifférences.
Valérie Nam 2002